La reconnaissance d'un lien de causalité direct et certain entre l'anesthésie péridurale et la paraplégie d'une patiente.
Notre cabinet a défendu les intérêts d’une femme devenue paraplégique après avoir accouché de son premier enfant.
Les faits et la procédure:
Lors de l’accouchement, alors que l’anesthésie péridurale est en cours de réalisation, une bradycardie fœtale impose la réalisation d’une césarienne en urgence.
Les suites de couches ont été marquées par une perte de mobilité des membres inférieurs.
Les examens ont conduit à retenir le diagnostic de paraplégie quasi complète et flasque par ischémie médullaire. Il en résulte pour la patiente des préjudices très importants, dont un déficit fonctionnel permanent évalué à 75 %.
La Commission de Conciliation et d’Indemnisation des accidents médicaux (CCI) a été saisie.
L’expert qu’elle a désigné a retenu l'existence d'un lien direct, certain et exclusif entre l'acte d'anesthésie et l'ischémie médullaire aiguë et retenu comme cause du dommage l'hypothèse de la maladresse de l'opérateur, due à son manque d’expérience. Il a également retenu l'existence d'un défaut d'information lors de la consultation d'anesthésie.
Sur la base de ce rapport d’expertise, la CCI a rendu un avis en faveur de la responsabilité pour faute du centre hospitalier.
La Commission a ainsi imparti à l'assureur du centre hospitalier de formuler une offre d'indemnisation aux requérants dans un délai de quatre mois à compter de la notification de son avis.
Aucune offre n'a toutefois été formulée par ce dernier.
Une action en responsabilité et indemnisation a donc été initiée devant le tribunal administratif.
Compte tenu des éléments contradictoires produits par le centre hospitalier et l’ONIAM (Office National d'Indemisation des accidents médicaux), le premier soulevant l’hypothèse d’un aléa thérapeutique, le deuxième celui d’une faute médicale, le tribunal s’est estimé insuffisamment informé pour se prononcer sur l’existence de manquement fautifs dans la prise en charge et a ordonné avant dire droit une expertise médicale confiée à un expert en anesthésiologie et un expert en neurologie.
Des conclusions expertales en faveur de l'aléa thérapeutique:
Les experts ont conclu à la survenue d’un accident médical non fautif au motif que la complication survenue serait très rare et que les actes d’anesthésie accomplis, bien que réalisés hors nomenclature, ne seraient pas contre-indiqués.
Ils ont par ailleurs retenu que la patiente aurait reçu une information adéquate au cours de la consultation d’anesthésie dans la mesure où il lui aurait été remis un document type évoquant la possibilité d’une complication neurologique grave.
Nous avons toutefois critiqué les conclusions des experts judiciaires, faisant observer que les éléments contenus dans le rapport d’expertise permettaient aux juges de retenir la responsabilité pour faute en vertu de leur pouvoir souverain d’appréciation.
En effet, les experts ont indiqué que :
- La première tentative de pose de péridurale a été faite maladroitement en utilisant une technique (mandrin gazeux) inappropriée qui a pu intervenir dans la genèse de la complication;
- La technique de rachianalgésie pratiquée par le deuxième anesthésiste n’était pas adaptée à la situation car non indiquée dans le cas d’espèce. Elle a pu contribuer à la survenue d’une baisse importante de pression artérielle (compte tenu des chiffres initiaux) et au passage en césarienne en raison d’une bradycardie fœtale potentiellement induite par le sufentanil intrathécal et la chute concomitante de pression artérielle.
Ils ont encore indiqué qu’il était possible de conclure à la relation entre la réalisation de la rachianesthésie et de l’anesthésie péridurale et la survenue de la complication.
S’agissant de l’information sur les risques liés à l’anesthésie, nous avons fait observer que, lors de la réunion d’expertise, à laquelle notre cabinet était présent, le centre hospitalier avait produit pour la première fois un document d’information, auquel faisaient référence les experts, soit près de sept ans après les faits, lequel ne figurait pas dans le dossier médical de la parturiente. Il s’agissait en outre d’un document type ne comportant ni le nom de celle-ci, ni la moindre signature.
La reconnaissance de la faute médicale à l'origine de la paraplégie:
Le tribunal administratif a suivi notre argumentation pour retenir la responsabilité pour faute du centre hospitalier.
Il a ainsi indiqué que la patiente a été victime d’une ischémie médullaire aigue dans le territoire de l’artère spinale antérieure, constitutive selon les experts d’une lésion d’une très grande rareté. S’agissant de l’origine de cette ischémie, le tribunal a relevé que les experts ont, tout comme le précédent expert, écarté les hypothèses d’une neurotoxicité des anesthésiques locaux, d’une compression ou d’un traumatisme médullaire direct ainsi que d’un spasme artériel.
Le tribunal a encore relevé que les experts ont confirmé qu’aucune anomalie morphologique du dos de la parturiente ne pouvait laisser présager de difficultés particulières lors de l’identification de l’espace péridural
Le tribunal a encore relevé que les experts ont considéré que l’échec de la technique utilisée par le premier médecin anesthésiste avait conduit le second médecin intervenant à pratiquer une rachianésthésie ayant favorisé la survenance d’une hypotension artérielle.
Il a ajouté que la rachianesthésie a contribué à la survenance d’une bradychardie fœtale conduisant à pratiquer une césarienne en urgence, au cours de laquelle il a été procédé à l’injection de lidocaïne adrénalinée, ce qui a fait chuter la pression artérielle, accentuant ainsi l’importance du changement de pression qui a pu contribuer à l’hypoperfusion médullaire.
Le tribunal administratif a conclu:
"Compte tenu de ces éléments, il y a lieu de considérer que la complication dont la patiente a été victime a comme origine la plus vraisemblable la pratique d’une rachianesthésie devant être regardée comme présentant un caractère fautif."
Le tribunal administratif a également retenu la responsabilité du centre hospitalier en raison d'un défaut d'information, précisant :
"Si au cours des opérations d’expertise, le CH de Morlaix a produit un document type relatif à l’information délivrée aux patients en vue d’un accouchement mentionnant la possibilité de complications neurologiques graves, cet établissement ne rapporte pas la preuve qui lui incombe ni de l’existence d’un tel document à la date de l’accouchement, ni de sa remise à la patiente, ce que celle-ci conteste."
Il s'agit donc d'une reconnaissance juste et nécessaire pour notre cliente.
La reconnaissance de la responsabilité pour faute du centre hospitalier permet en outre à son conjoint et son enfant d'obenir l'indemnisation de leurs préjudices personnels, ce qui est exclu en cas de responsabilité sans faute ou aléa thérapeutique.
Cette affaire démontre par ailleurs l'importance de la critique des conclusions expertales, lesquelles ne constituent qu'un avis technique pour les juges, qui disposent d'un entier pouvoir d'appéciation des faits qui leur sont soumis.
Il convient évidemment pour ce faire de recourir à l'assistance d'un avocat spécialiste, rompu à l'exercice de l'expertise médicale et des procédures en indemnisation des accidents médicaux.
Retour